jeudi 30 mai 2013

Lettre à mes quinze ans

Ma chère, 

À l'heure où je t'écris je ne suis plus vraiment petite, bien que je fasse toujours la même taille qu'à l'époque. (Première mauvaise nouvelle, essuie tes larmes. Tes nichons ne vont pas pousser non plus. Range cette corde.) Mais c'est avec de la tendresse et un peu d'amertume que j'ai envie de faire comme si. Passionnée de langue française tu dirais qu'on ne peut commencer une phrase par "mais". Mais j'ai envie de te répondre que je m'en balance et que de toute façon ta passion ne t'a servie à rien. 

Du haut de tes quinze ans tu crois que le temps ne passera pas sur toi. Tu as raison de faire attention à ton poids, ainsi tu garderas sensiblement le même plus tard encore. Une journée de collège est semblable à une éternité, et la majorité te paraît si loin. Je peux te dire qu'elle arrivera plus vite que prévu et tu la dépasseras d'ailleurs sans même t'en rendre compte. Jusqu'à dix-neuf ans tu seras contente de souffler tes bougies, mais après tu commenceras à avoir peur. Peur de te réveiller avec une ride au coin de l'œil, comme toutes ces gonzesses qui ont des pattes d'oie. Ça fera rire les vieux. 

Je sais que c'est bien le dernier de tes problèmes, mais tu devrais faire attention à l'image que tu renvoies. Tu as raison de vivre au jour le jour et d'être aussi passionnée, mais fait gaffe à ta réputation. Plus le linge est sale plus il devient difficile à nettoyer. Soit. Puisque tu es bornée tu ne le comprendras que trop tard. À ton âge j'aurais aimé que quelqu'un me l'explique. Un jour tu auras honte de ce passé un peu farfelu et tu regretteras de ne pas avoir été plus conventionnelle. 

Je sais que tu rirais beaucoup si tu pouvais me lire. Je te vois d'ici pouffer comme une conne, penser "non mais elle parle sssérieux?", avec ton trait d'eye liner jusqu'à la tempe et ta Lucky Strike à la bouche. D'ailleurs n'oublie pas de te parfumer et d'avaler un chewing gum avant de rentrer à la maison. 

La maison... Je sais que son ambiance est pour le moins chaotique. Ce que je peux te conseiller, c'est de n'écouter que d'une oreille les promesses de ton père. Oui, je sais que tu n'y crois déjà qu'à moitié, mais il y a tout de même un peu trop d'espoir enfoui en toi. Tu es moins dure que ce que tu crois. Malheureusement je dois t'annoncer que le problème restera à vie. Un jour ce sont les pompiers qui viendront le chercher, il s'enfuira tout de même de l'hôpital après avoir arraché sa perfusion. Deux ans plus tard tu le retrouveras dans le jardin de tes beaux-parents qu'il n'aura pourtant rencontré qu'une fois. Il se sera incrusté chez eux. Ton sang ne fera qu'un tour. Voilà. Tu en baveras encore ma petite. Les hontes ne sont pas finies. Je ne t'en dis pas plus. Sinon tu risquerais de t'ouvrir les veines avant l'heure. En tout cas je te conseille de garder ce problème pour toi. Il ne doit pas figurer sur ton CV, même si ça fait parfois du bien de se confier. Tu commences à comprendre que les gens sont méchants; tu en auras bientôt la certitude. 

Continues néanmoins de prendre soin de ta mère. Tu ne le fais pas suffisamment. C'est vrai qu'elle t'a fait chier elle aussi. Mais tu as de la chance qu'elle soit là et en bonne condition. Tu dis toujours qu'elle est jeune, au même titre que tes grands-parents. Ce n'est pas faux mais ils vieilliront vite. Gâte-la, répète-lui que tu l'aimes. D'autres n'auront pas ta chance. Comme la mère du jeune blond que tu fréquentes. Celle que tu croises toujours, allongée devant sa télé. Vous ne parlez jamais mais elle t'a pourtant offert ton parfum à Noël. Tu étais surprise. Je dois t'annoncer qu'elle n'a plus que quelques années à vivre. Cinq pour être précise. Elle partira en deux mois. Je me souviens du jour où le jeune blond te disait "Il y a une femme que j'aime plus que toi en fait. C'est ma mère". Y penser aujourd'hui me déchire le cœur.

À propos du jeune blond d'ailleurs, accroche-toi, il va te falloir du temps pour digérer ce que je vais te dire: Vous n'avez rien à faire ensemble. Si si crois-moi. Bien sûr qu'il ne te fréquente que pour "ça", depuis un an. Et pour ta générosité aussi. Puisque lorsque tu aimes tu donnes de l'argent durement gagné et achètes des paquets de cigarettes à cinq euros qu'on ne te rembourse jamais. (Tu t'en sors bien quand-même, aujourd'hui ils coûtent presque sept euros.) Tu es une bonne poire et tu fais tout ce dont il a envie. Mais en plus tu fermes ta gueule quand tu vois des commentaires ambigus laissés sur des skyblogs. Tu pleures en silence et tu rédiges des articles tristes sur le tien. Des articles à lire en transparence qui font de toi une personne pathétique et pleurnicharde à ses yeux. Il te reprochera souvent d'oser lui demander s'il t'aime vraiment.

La bonne nouvelle dans toute cette merde, c'est qu'après t'avoir minablement larguée il se rattrapera un an plus tard. Il sera plus respectueux, moins radin et un peu plus à ton écoute. Moins égoïste en somme, mais ça finira par un échec aussi, peu après tes dix-sept ans. Ça sera dur, mais moins que la première fois. Tu n'auras plus jamais aucune nouvelle de lui. Cette expérience te forgera un caractère de l'autre monde et plus jamais tu ne seras crédule. Tu deviendras même très vicieuse. Pour le parcours sentimental je m'arrête là, même s'il est encore semé de quelques embûches. 

Tu serais surprise de savoir que plus tard tu deviendras beaucoup plus spirituelle. (Oui, jette tes albums de Marilyn Manson s'il te plaît.) Grâce à la Russie d'abord, puis à une rencontre faite au travail. Garde bien au chaud cette personne. Elle te sera très chère. Surtout que tu ne feras pas beaucoup de rencontres. (Oublie le Spring Break à Barcelone). Les gens seront presque toujours de passage. Tout comme aujourd'hui - enfin hier - tu n'auras pas d'amis. (Prend un Curly) La faute à qui? Il te faudra du temps pour trouver la réponse. Je crains que tu ne la trouves jamais. 

Je te souhaite pas mal de courage et t'ordonnes de te bouger le cul au lycée pour ne pas finir vendeuse. Bon, ça je crois que c'est raté. Tu as beaucoup de rêves mais de futiles priorités. C'est dommage. Reste toujours aussi sarcastique. Ça te va bien. Je suis avec toi, en quelques sortes. Je te donne rendez-vous dans quelques années pour voir si le tableau dépeint sera plus joyeux.

PS: Le Eastpak militaire est démodé. D'autant plus avec des logos "Anarchie" dessinés au correcteur. 
PS2: C'est pas pour ça que tu dois mettre des talons aiguilles et des lentilles bleues pour aller au collège et promener le chien.

samedi 18 mai 2013

Un appel de mon père

Autant vous dire que c'est une chose qui n'arrive jamais. La dernière fois qu'il m'a appelé j'avais quinze ans et il menaçait de venir me péter les dents si je ne rentrais pas à la maison tout de suite. Sur le moment j'étais sûrement occupée à faire une pipe à mon mec de l'époque et ce n'est que plus tard que j'ai remarqué avec effroi environ dix appels de ma mère et autant de mon père, des messages vocaux assassins et menaces d'appeler la police si je ne rentrais pas de suite. Je venais de remporter la palme d'or. Le temps que je redescende la vallée (à pieds il faut compter une vingtaine de minutes; je vous laisse imaginer l'état de panique dans lequel je me trouvais), mon destin était déjà scellé: les parents qui à l'avenir m'attendraient à la sortie du collège chaque jour et plus aucune activité extra-scolaire. Mais surtout une analyse d'urines. Le motif du scandale: quelqu'un leur aurait dit que je fumais du Shit. (Faux. Même pas de la beue.) Ils ont bien perdu la gueule quand un mois de punition plus tard le résultat est tombé dans la boîte aux lettres: négatif. 

Cette histoire je le reconnais a marqué mon adolescence au fer rouge. De mon côté je ne m'étais servi du numéro de mon père que pour lui envoyer deux ou trois messages quand il était en cure de désintoxication. C'est là je crois que notre communication s'arrête.

C'est pourquoi j'ai eu très peur ce matin à neuf heures quand mon téléphone a sonné et que le nom de mon père s'est affiché. Je suis bien la dernière personne qu'il appelle, et encore moins pour prendre des nouvelles. J'aurais bien rigolé si c'était pour m'accuser de fumer des skunks. Je lui aurais dit "toi l'alcoolique ta gueule. C'est ça oui, viens me chercher, je te fais arrêter direct." En fait je n'y ai pensé qu'après coup. Parce que sur le moment j'avais tellement peur. J'ai pensé à un drame. S'il avait eu un accident. Si c'était moi qu'on avait choisie dans son répertoire pour l'annoncer. S'il avait fait du mal à ma mère. Lui ou un autre. À ce que j'allais dire à mon patron à dix minutes de l'ouverture du magasin. Puis j'ai décroché. 

"A... Alo? (voix tremblante)
- Aloooo, ma fiiille? (Oula. Ça y est tu me considères?) C'est Papa! (J'ai plutôt l'habitude de t'appeler par ton prénom mais bon)
- Oui. Ça va? Qu'est-ce qui se passe? (abrège, au lieu de faire genre Une Famille Formidable)
- Je viens d'avoir Georges au téléphone (un ami de la famille), sa fille (avec qui j'ai perdu contact depuis des années) repart demain soir à Paris pour ses études. C'est quand tes jours de repos? 
- Euh... Ben, le jeudi, le samedi après-midi et le dimanche... Mais pourquoi?
- Le dimanche! Donc demain tu montes au village, tu vas manger à leur restaurant à midi, c'est pour moi, tu prends ce que tu veux. Et ton chéri (depuis quand tu t'intéresses à lui?), c'est bon il travaille pas demain? Passe-le moi! 
- Non mais euh il est à la maison là, moi je vais au travail. 
- Ahhh, bon ben demain tu viens chercher la voiture, vous montez toi et ton mari (hein?) manger dans leur restaurant, j'ai déjà tout réglé avec Georges. Comme ça tu vois Carole.
- Oui oui, ok. Demain... Ouais." 

Il répète trois fois la même chose en disant toujours "ton mari", moi je réponds "oui oui" pour ne pas l'énerver. Je me demande quel délire il est en train de se taper. Monter au village pour voir une copine perdue de vue depuis plusieurs années? Un dimanche de Pantecôte? Avec mon mec (pardon, mon mari)? Manger à l'oeil? Je me dis que ça part d'un bon sentiment alors je continue d'acquiescer. 

Une fois qu'il raccroche je comprends qu'il était bourré. Je demande à ma mère par SMS. Elle le confirme à demi-mot. Je lui demande de prévenir Georges que mon père a raconté n'importe quoi. C'est sa fille qui me rappelle. Je lui explique la situation et m'excuse pour le spectacle. Heureusement qu'elle connaît la personnalité fantaisiste de mon père. On a dit qu'on se verrait en juillet. 

C'est de cette façon, à cause de cet appel extravagant, que j'ai su que mon père avec qui je n'ai presque plus aucune complicité depuis longtemps déjà, est retombé dedans. Dans l'alcool je veux dire. J'en avais entendu parler sans vraiment y croire. Aujourd'hui c'est certain. 

J'aurais pu être abattue comme avant, quand j'étais gosse et qu'on arrivait à ce fameux jour où après deux ans d'abstinence et de bonheur absolu il avait l'air louche et tenait des propos incohérents. LE jour où on comprenait ma mère et moi, qu'on était reparties pour un tour de grand huit. Ben non figurez-vous, cette fois-ci j'ai pris la chose avec beaucoup plus de philosophie. Ou plutôt de résignation. Mais toujours la même honte de son attitude, dix ans plus tard.
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vendredi 10 mai 2013

Comment j'ai fait une crise de nerfs (cas social inside)

J'ai eu mon chèque de paye lundi. Lundi 6 mai. J'ai commencé le 2 avril. Oui ça sent déjà l'enculade, je suis d'accord avec vous. Mais lorsque j'ai jeté un coup d'oeil discret au montant, ça valait l'attente, je me suis sentie vainqueur, j'aurais pu siffler "We are the champions my friend" en faisant un gros câlin à mon boss. 

Sauf que la fiche de paie n'était pas à mon nom. Du coup j'en ai déduit que le chèque non plus. Ça a commencé à sentir mauvais à ce moment là. J'ai tout rendu à mon boss, il a dit "ah merde" et m'a tendu mon chèque. Le mien. Le vrai. Le Saint Graal après trois mois sans salaire. Celui sur lequel j'ai vu 400€ de moins par rapport au premier. Bref, je sais combien gagne Sandrine, environ ce que je gagnais avant, en été, sans expérience alors qu'elle en a dix; et là j'ai failli pleurer. J'avoue carrément, j'ai regretté d'être partie de mon ancien taff. Mes heures supp ont été payées "en habits". Absolument, elles sont passées à la trappe parce que j'ai pris des habits, un peu trop, notés sur un petit carnet. Ça m'apprendra à être crédule (ou conne). 

Je suis rentrée blasée, mon mec a fait le calcul, je ne m'étais pas faite avoir si on considère que mes heures supp sont payées "en habits". Mais si on fait le calcul inverse on peut dire que je me la suis bien prise au c*, ça oui. Bref. Il a décroché le chèque de la fiche de paie, je l'ai déposé sur la table. Plus tard il est arrivé la bouche en cœur "Tiens ne laisses pas trainer ton chèque, je le mets dans ton sac". Ok. Why not. On est le 6. J'irai le faire encaisser le 9. 

Le lendemain je pars au travail la fleur au fusil, en me disant que finalement ça va, pour avoir la paix et travailler sans stress ça peut le faire de se taper un salaire même pas smicard monégasque. (Limite pas français non plus, en fait). 

Hier matin nous étions enfin le 9, je devais aller acheter ma future cuisine, et au passage faire encaisser mon chèque. Je regarde dans mon sac: pas de chèque. J'appelle mon mec qui très sûr de lui me dit "Je l'ai mis dans CETTE poche!" C'est-à-dire la seule des trois qui n'est pas zippée. Génial. Ça commence à sentir la daube mais je ne perds pas espoir. Je sais toujours où sont rangés mes papiers, je ne perds rien et ne suis pas trop tête en l'air. Mais je m'énerve. Parce que 1) je dois partir dans moins d'une heure et je suis toujours démaquillée avec la serviette sur la tête. 2) si je ne le retrouve pas tout de suite je ne pourrais pas le faire encaisser aujourd'hui. 3) pourquoi mon mec ne pouvait-il pas toucher à son cul plutôt que de mettre ce chèque dans cette poche à la con? Je l'avais mis sur la table non loin de mes papiers, de quoi tu te mêles connard? Bref. C'est lui qui a dégusté. J'ai pleuré. Il a dit qu'on allait le retrouver. Je devais me préparer. Et il a fallu partir. 

J'ai fait la gueule dans la voiture pendant tout le trajet, pour que lorsqu'on arrive devant Lapeyre on constate que c'était fermé. Cuisinella aussi. Demi-tour. Les beaux-parents ont voulu nous accueillir pour manger chez eux le midi. Et puis le soir aussi. Et moi je ne pensais qu'à une chose: ce putain de chèque que je n'allais pas pouvoir encaisser aujourd'hui.

On est rentrés après 21h, mon mec passe un coup de fil à son pote au lieu de se bouger. Je commence à sentir l'hystérie monter en moi. 

Il se décide enfin à m'aider à chercher, sauf qu'on s'engueule en même temps parce que "je parle mal". Au bout d'un moment il s'enferme dans la chambre en claquant la porte, je vois la plinthe fraîchement réparée avant l'état des lieux qui se craquèle. C'est la seule chose que ce branleur a refait pendant ses vacances. Alors je sors de mes gonds, je l'arrache, elle se casse en trois morceaux, je les jette dans la porte, je hurle, je mets des coups de pied en lui disant que "sa mère la pute", j'attrape un morceau de plinthe et attends qu'il sorte de la chambre pour lui avoiner la gueule. S'ensuit une négociation "tu poses cette plinthe, je sors". Je finis par me calmer vite fait, il sort de la pièce, fouille des dossiers à la recherche du chèque perdu pendant que je passe l'aspirateur en pestant. Et comme je peste trop il fait le truc de trop: sauter de toutes ces forces sur le bouton de l'aspirateur pour l'éteindre. Il n'aurait jamais dû faire ça. Je me mets à le frapper avec l'aspi, de toute ma rage, sur le dos et les côtes. Il crie, la tête de l'aspirateur se décroche, je vois des morceaux voler à travers la pièce. Il menace d'appeler la police. Je lui dis que je balancerai tous ces plans weed. Du coup il n'appelle personne. 

J'ai fini au lit plus tôt que prévu, avec le mal de crâne. Je n'ai pas retrouvé ce chèque. Il s'est certainement égaré au rayon Bio de Carrefour, à la caisse du fast food asiatique, ou encore à la visite médicale. C'est sûr, une poche même pas zippée... J'en ai cauchemardé la nuit. J'ai dû le dire à mon boss aujourd'hui, après avoir acheté un nouvel aspirateur. Il a dit qu'on allait faire opposition, une lettre, en gros tout un tas de complications qui font chier. Il est resté zen, pépère, mais je sais que je suis d'ores et déjà catégorisée comme "tête en l'air qui ne fait pas attention à ses affaires" et "connasse qui perd son premier chèque". Exit le salaire de Sandrine, je ne serai jamais responsable de rien du tout.