vendredi 12 juillet 2013

L'importance de ceux qu'on aime

C'est un titre d'article un peu bâtard. Il a le goût de ces phrases trop souvent répétées: "Il faut profiter de chaque instant", "On peut mourir demain" et j'en passe. Tellement répétées qu'on en oublie le sens. Elles sortent aux événements graves qui ne nous touchent pas vraiment, c'est devenu un réflexe. "Le cousin de Machin est mort trop jeune, c'est pour ça tu vois, il faut profiter de la vie et ne pas se prendre la tête." C'est toujours facile de commenter le malheur des autres par une phrase bâtarde. On pense ce qu'on dit mais on ne le comprend pas. Et tant que ça ne nous tombe pas sur la gueule on ne comprend jamais. 

J'ai failli faire partie de ceux sur qui ça tombe sur la gueule. Heureusement ce n'était pas mon tour. 

J'ai souvent traité mon père d'enfoiré, par devant ou par derrière. J'ai même parlé de lui ici. Pour me foutre de sa gueule avant tout. Pour dénoncer les pères alcooliques après tout. Il nous en a fait voir de toutes les couleurs à ma mère et moi. C'était dur. J'ai eu une enfance difficile à cause de lui. Et je pourrais presque dire seulement à cause de lui. Il est la clé de mes inquiétudes et autres mes névroses. Il ne m'a pas battue mais a frappé ma mère. Plusieurs fois. Un coup de couteau dans le bras, des côtes fêlées... Ça c'est quand ça allait très mal. Le reste du temps c'était un alcoolo qui nous mettait des hontes inimaginables. Sa troisième casquette, c'était tout de même celle d'un mec plein d'humour et qui essayait tant bien que mal de s'en sortir. Celle d'un père qui me voulait du bien avant tout même s'il ne faisait que de la merde. L'intention était là. Certains ne l'ont même pas. 

J'ai détesté mon père plus que quiconque. En grandissant il s'est calmé, m'a prouvé qu'il pouvait être quelqu'un de bien. Toutefois j'ai continué de penser que ma mère avait gâché sa vie et qu'il me manquait un père. 

La semaine dernière, il s'est rendu au centre cardio-respiratoire. Là où Mémé-Mamie est décédée, pendant un triple pontage. La veille, il a eu mal au bras gauche et l'impression d'étouffer. Son expérience d'ancien pompier volontaire lui a tout de suite fait comprendre qu'il avait un problème de cœur. Le verdict n'a fait que confirmer ma crainte: la coronaire bouchée aux trois quarts. Enfin les trois quarts c'est ce qu'on nous a dit au début. Le lendemain ils se sont rendus compte que c'était à 99%. Il ne restait qu'un cheveu au sang pour circuler. Les médecins l'ont branché de tous les côtés. Mon père risquait la crise cardiaque à tout instant. Il n'avait donc qu'un pourcent de chance de s'en sortir indemne. Et j'imagine que ça ne datait pas d'hier. Trois jours avant il s'occupait de mon déménagement, portant quatre cartons à mains nues alors que je n'arrivais pas à en soulever un seul. Il se tapait trois étages à pieds, il transpirait, soufflait mais restait droit, debout et en forme. On le croyait tout puissant, doté d'une force surhumaine. Il avait prévu de venir mettre nos encombrants dehors la semaine suivante. Il n'a pas pu venir. À la place il s'est retrouvé sur un lit d'hôpital avec interdiction de bouger à part pour aller aux toilettes. À la merci d'un chirurgien. 

Dieu a fait que tout s'est bien passé. Après l'opération il a pu sortir de suite, reprendre une vie normale avec un petit plus: un ressort au coeur, cinq cachets obligatoires par jour, une surveillance chaque mois, sept kilos de moins et un régime à suivre. 

Papa est passé à côté. Il lui restait 1% de chance d'éviter une très grave crise cardiaque qui aurait probablement entraîné sa mort. Heureusement il a eu des alertes. Beaucoup meurent de n'en n'avoir eu. Je sais une chose, et même les médecins le disent, c'est que ce n'était pas son heure. Dieu a voulu lui faire voir quelque chose de plus profond. Pour qu'il comprenne qu'il est temps de changer, de s'élever spirituellement à quarante-cinq ans. Dieu lui a dit "Qu'as-tu fais de bien dans ta vie?" et mon père n'a pas trouvé grand chose à répondre. Il est resté pour accomplir quelque chose, sinon c'est certain il serait parti. Dieu lui laisse une seconde chance de se rattraper. Et je constate qu'il l'a sûrement compri. On n'en parle pas mais il m'appelle, m'envoie des messages, a de nouveaux projets. Pourvu que ça dure. Pourvu qu'il comprenne.

On est vraiment peu de choses. J'ai du mal à réaliser qu'on aurait pu l'enterrer aujourd'hui. C'est ainsi que je me suis rendue compte de l'importance de ceux qu'on aime. Les mots sont désormais un peu plus appuyés quand je dis "Profitez, on peut mourir demain".

Merci Seigneur.

vendredi 5 juillet 2013

Mémé-Mamie

Je me souviens de la dernière fois que je l'ai vue. J'étais en train de jouer au Club des 5 sur mon PC Windows 2000. J'ai dit "Au revoir Mémé!" du haut des escaliers, sans vraiment y accorder trop d'importance puisqu'elle même n'était pas plus stressée que ça. Elle partait comme si on allait l'opérer d'une appendicite. C'était pourtant d'un triple pontage au cœur et elle en est ressortie les pieds devant, comme on dit.

Je savais qu'elle était tombée dans le coma et qu'on me faisait enregistrer des messages de merde tout préparés pour les lui faire écouter (famille de fous). Mais ce qu'était le coma je n'en savais rien, et pourquoi je devais parler dans un magnétophone je ne le comprenais qu'à moitié. Je me souviens de mes tantes qui restaient assises devant le téléphone, l'air inquiet, répétant "Pas de nouvelles, bonnes nouvelles" comme pour se rassurer; alors que j'allais bien et que maman et papa avaient l'air cool aussi. 

Puis il y eut ma première brocante, le 1er mai 2002. J'étais excitée de jouer à la vendeuse (si j'avais su que c'était ce que j'allais devenir), pressée de vendre des objets d'un autre temps qu'on avait retrouvés à la cave. Maman m'avait fait une table avec des planches en bois. Ce matin-là alors que c'était la plus grosse journée de travail de l'année, elle portait de grosses lunettes de soleil et justifiait ses larmes par une chute dans la rue et des genoux écorchés. Mon oncle était venu donner un coup de main, le visage grave, l'air ailleurs. Je ne me souviens pas d'avoir entendu mon père chanter et faire le con comme à son habitude devant les clients. Par contre je me rappelle clairement de mon médecin généraliste en rollers avec sa femme et sa fille. Je trouvais ça étrange qu'il fasse des messes basses à ma mère en me regardant d'un œil choqué. 

En début d'après midi on a plié bagage, j'étais très contente de cette matinée. Les adultes disaient que j'avais vraiment bien vendu. C'est là que ma mère est venue vers moi l'air grave, s'est accroupie pour être à ma hauteur et m'a appris que Mémé-Mamie était partie au paradis. Je me souviens avoir crié "Non!" et avoir regardé vers l'horizon avant de demander "Pourquoi on dit qu'il y a un dieu alors?". Je revois cette scène sans me souvenir clairement des mots que ma mère a pu employer pour cette terrible annonce. Je n'aurais pas aimé être à sa place. Néanmoins je me sentais trahie d'avoir été mise au courant après tout le monde. Et conne aussi d'avoir cru toutes ses conneries de "Mémé va s'en sortir" et de chute qui fait mal aux genoux. Ironie du sort, elle qui a bossé toute sa vie est morte le jour de la fête du travail. 

Je crois que c'est ce jour là que j'ai arrêté d'être naïve comme on l'est à dix ans. J'ai mûri d'un jour à l'autre. Sa mort a marqué le début de mes années de cauchemars, la fin d'une famille qui allait se disloquer à cause d'un héritage. Je me souviens ne pas avoir été à l'école pendant plusieurs jours, et qu'on l'enterrait le jour où j'y suis retournée. 

Depuis, tous les premiers Mai ont un goût amer. Je ne pleure plus mais n'offre pas de muguet. Je n'ai presque jamais été me recueillir sur sa tombe. Pas la force. Pourtant je me demande parfois ce qu'elle pense de tout ça, du chemin parcouru, en onze ans. Elle était d'une autre époque, de celles qui n'ont eu qu'un amant et qui ne comptaient pas leurs heures de boulot. Ça doit lui faire drôle de voir qu'il m'en a fallu quatorze avant de trouver le bon, et que je râle à l'idée de devoir travailler deux dimanches payés double cet été. 

Néanmoins je sais qu'elle me parle la nuit. Je me souviens rarement de ses paroles mais elle est là. Comme elle l'a été pendant dix ans. Dix ans sous son aile. Ce sont des plaies qu'on ne referme jamais. Mais puisque c'est elle qui m'a élevée je garde des marques indélébiles de sa personne. 

Je ne t'oublie pas sois-en sûre. J'ai retrouvé la foi depuis. Ça n'a pas été facile. Je sais que tu es là. Juste derrière la porte. Et si d'aventure je quittais Terre, accueille-moi avec la même intensité.