jeudi 15 janvier 2015

Le grand Flash

Autour de cette table s'amoncelaient l'ivresse, les rires et les disputes de couples. Il pleuvait le bonheur de cet instant et parfois la tristesse des non-dits et des coups encaissés. Autour de cette table où nous étions un peu serrés, qu'on se le dise, de Charlie on n'en avait rien à branler. Jeunes adultes un peu trop matures, anciennement stupides et désormais si lucides, rien ne pouvait venir manipuler notre esprit qui avait déjà ouvert des centaines de portes. Nous étions tous des gens particuliers, différents et délurés. On ne faisait pas partie de la norme et on ne l'avait jamais cherché. Ce soir-là, on riait de la misère française. Parce qu'il vaut sûrement mieux en rire que de s'en foutre.

Il y avait l'américaine, toujours plus silencieuse que tous dès le troisième verre mais qui pouvait finir trois bouteilles et te ramener chez toi avec un air parfaitement sobre. Elle était de celles qui restent discrètes, de celles qui n'ont pas confiance en elles parce que trop souvent entourées de personnalités destructrices. Elle buvait tranquillement son rosé et tentait sagement de décoder le brouhaha qui s'abattait sous ce toit.

Il y avait l'algérienne, l'élancée toujours en talons et un peu brisée. Dans le passé elle s'était attiré les foudres d'un tas de jalouses mal baisées. Elle n'avait pas la force de couper les ponts avec le chien de la casse sur lequel elle était assise. Ils étaient beaux tous les deux, malgré le flot de paroles putrides qui s'abattait sur lui. Il l'avait bien cherché. Et tandis qu'il baissait les yeux, mis au pied du mur de sa perversité insoupçonnable, moi j'étais trop bourrée et m'époumonais pour le défendre. J'avais sûrement le cheveu en l'air et le noir sous les yeux, et si vous me demandiez pourquoi j'avais décidé qu'il était innocent d'avoir été si coupable, je vous répondrais que je n'en sais rien. Champagne, rosé et cannabis avaient sûrement fait leur travail.

À ma gauche il y avait l'égyptienne, celle qui donne la bonne humeur avec un simple sourire, celle avec qui au fond tout devient possible, comme prendre des photos nichons à l'air, n'en déplaise à mon 80A. À elle, je ne lui avais pas parlé depuis longtemps. Il faut dire que dans notre jeunesse elle avait été vicieuse et moi bien suspicieuse. À présent, elle hurlait sur son mec qui venait de se manger un coup de poing, et là pour le coup c'était vraiment sans raison. Lui, il restait muet. Un autre lui aurait sûrement avoiné sa gueule. Lui, c'était sûrement quelqu'un de gentil. Elle, elle avait juste l'air folle. Moi, je criais à la cantonade qu'il ne se passerait rien à Paris et qu'il ne devait pas s'inquiéter, mais je le répétais tant de fois que ça en devenait suspect. Au départ il a dû me croire, ensuite, je donnais tellement l'air de vouloir bien me vendre que depuis, il doit s'imaginer que sa meuf et moi allons faire des gang bang.

Et au milieu de ces gens qui pour la plupart étaient dans ma vie depuis neuf ans déjà, il y avait moi. Moi qui fêtais mes vingt-trois ans d'inutilité, moi qui assistais à une scène surréaliste, moi qui n'étais plus vraiment moi-même en essayant de jouer le médiateur. "Médiateur" c'est ce que j'ai pensé être. Mais dans la vie la vraie j'étais bourrée et je gueulais plus fort que tous en caressant la cuisse et le dos de tout le monde. Je ne servais à rien mais j'étais heureuse d'être là. Ici dans ce meublé merdique avec des gens que j'appréciais sincèrement. Des gens qui se mettaient salement sur la gueule. C'était drôle. Drôle d'être de l'autre côté, celui des célibataires qui ne s'y attendaient pas, celui de ceux qui s'imaginent comment ça serait aujourd'hui s'ils étaient encore avec leur mauvaise moitié. Serions-nous en train de laver notre linge sale en public? Non, assurément. Puisque chez nous le plus triste, c'est qu'il n'y avait rien à laver. Moi, je ne l'ai pas aimé. Lui, il était dans son univers parallèle. Un peu comme celui qui venait de se manger une patate par sa meuf mais qui pourtant l'aimait intensément. Si on avait été là, lui et moi, on n'aurait rien trouvé à remettre en question. On se serait à peine regardé, on aurait rigolé comme des amis, et on n'aurait pas compris pourquoi les gens s'emportent. Chez nous, il n'y avait pas de linge sale à laver, tout était d'un blanc limpide. Blanc comme ceux qui ont trop duré, dans nos conversations qui n'en étaient pas. L'avantage s'il avait été là, c'est qu'on aurait sûrement baisé. Ce soir-là, mon euphorie et moi n'avons pas baisé. On a fait mieux que ça et j'en redemande encore.

À l'heure où les couples éméchés se chamaillaient, le MDMA était en train de monter. Peu de temps après l'avoir ingéré, j'avais commencé à poser ma main sur ces gens que j'appréciais. Lorsque je les touchais, c'était comme si nous ne faisions qu'un. Il n'était plus tellement question de discuter, on se comprenait. Plus tard, on était plus que trois et j'ai encore gobé. Cette fois-ci sans regarder, puisque j'avais une confiance absolue en l'univers. Ça avait donc déjà fait effet.

Il y a eu des mots, on se racontait nos vies sans dialoguer, lui son enfance maltraitée, moi, j'ai oublié. Je savais que ça n'avait pas de sens. On s'entendait sans s'écouter mais c'était bon, rassurant. Et puis soudain le grand Flash. C'était parti. La montée. Un froid intense, mon corps entrait en jouissance. Je me suis allongée. Ça crépitait dans mes yeux, dans mes bras et dans chaque parcelle de mon être. Je me suis sentie vivre, paradoxalement à mon état de larve morte-née. Cette montée prenait forme entre mes entrailles et je suis encore étonnée que la vie ait pu jaillir d'un endroit si noir et infiniment triste. J'étais persuadée que rien n'était encore susceptible d'être conçu, que là-dedans tout était mort et que d'y foutre une semence quelle qu'elle soit était peine perdue, la fécondation n'aurait jamais lieu. J'avais même pensé à demander à E. de décharger sur mon visage plutôt qu'à l'intérieur si d'aventure on se revoyait, puisque dedans il n'y avait plus rien, et que c'était se foutre de ma gueule de traiter de la sorte une coquille vide. 

Mais à présent le MDMA me hurlait combien j'avais tort. J'assistais à ma propre renaissance, comme si le ver devenait papillon. Était-ce bien mon cœur qui battait si fort? Évidemment. J'étais vivante et c'était meilleur que tous les possibles. Meilleur que mes quelques valeurs, meilleur que mes voyages en Russie, meilleur que de perdre un kilo, meilleur que le sentiment d'aimer. Celui-ci de toute manière était décuplé. J'étais devenue l'Amour, celui qui se ressent dans le ventre, celui qui fait perdre la tête. Je l'incarnais, le sentais jaillir de tous les côtés sans savoir d'où il venait exactement. Monter si haut, c'était mieux que de l'adrénaline, c'était reprendre subitement foi en l'humanité, c'était avoir accès à une connaissance supérieure. Et quiconque pouvait prier pour moi, ça n'avait plus d'intérêt. J'étais la foi. Plus rien ne comptait. Pas même ceux que j'avais jadis tant aimé. Ils avaient disparu et j'étais libérée. Ce soir-là et pour le restant de la nuit, je me suis sentie vivante. Je vivais donc j'étais. J'étais jouissance. Jouissance meilleure que sexuelle. Jouissance de l'âme et du corps entier. "Être" reprenait ses lettres de noblesse et pendant que je m'accrochais au plafond pour la première fois, l'égyptienne a prononcé quelques mots si drôles que je ne risque pas de les oublier:

"Je sais meuf, je sais... Alors imagine avec l'héroïne."

Silence. Ses mots raisonnaient. J'ai réussi à rire, avec ma mâchoire serrée et mes dents qui grinçaient. On a ri ensemble. Je sais désormais que je me souviendrai longtemps de ce moment, de ces quelques mots murmurés à l'instant de cette grande ascension. Je m'en souviendrai jusqu'au jour où je me foutrai en l'air, j'y repenserai la corde en main, j'y repenserai au plus profond de ma déchéance, j'y repenserai quand trop amère je serai devenue l'amertume. En fait j'y repenserai simplement pour me faire rire encore. Et s'il le faut, je ferais même rire la mort. L'humour, le sarcasme a toujours été notre arme et je me battrai jusqu'au bout l'arme à la main.


lundi 5 janvier 2015

Je mets un terme

Le 5 décembre j'ai su que c'était fini, que pour me préserver je devais mettre un terme. Un terme à cette absurdité, à cette histoire qui n'avait jamais commencée. Le 5 décembre, quand sur le pas de la porte tu m'annonçais très sûr de toi qu'on ne passerait plus un mois sans se voir, j'ai entendu le contraire. Je savais déjà que tu n'aurais pas le temps, qu'il y aurait les fêtes et que si tu l'avais vraiment voulu, il fallait revenir la semaine prochaine. Sans surprise le téléphone est resté muet. Je ne sais pas si tu as toi-même ressenti le froid que tu as jeté, j'ignore encore si c'était prémédité, une technique vicieuse pour que je me détache. Je ne suis même pas persuadée que tu saches combien j'ai pu crever pour toi. Peut-être essayais-tu simplement de me provoquer. J'ai passé l'âge.

Aujourd'hui c'est terminé. Peut-être le sais-tu déjà, puisque tu m'as mis le coup de grâce le 1er janvier. Je ne te donnerais pas d'explication si d'aventure tu essayais de me joindre après ton coup de pute. Je vais disparaître. Je ferai comme tu l'as si bien fait il y a quatre ans, à la différence que je n'ai même pas besoin de te convoquer sur un banc et de mettre mes plus belles Wayfarer pour ne rien dire. Je n'ai pas le temps pour une fausse scène d'adieux. C'est terminé et c'est sûrement plus facile ainsi. En 2015, je veux reprendre confiance en moi. Sur la fin tu as décidé de me salir. Dans quel but? Mystère. Mais je suis sûre d'une chose, c'est que je n'ai rien fait pour le mériter. Peut-être voulais-tu réécrire l'histoire à l'envers. Qu'importe. Avec moi tu avais tout gagné. Je ne demandais rien, je ne te harcelais pas, je ne voulais rien savoir et j'ouvrais la porte et les cuisses quand tu me sonnais. Il a fallu que je dise non une fois pour que le discours change, que tu me trouves des barrières, pour que tu deviennes moins sympathique. Je ne sais pas si c'est lié puisque de toi on ne saura jamais rien. Visiblement je n'étais même pas unique dans mon illégitimité. Alors j'ai sûrement rêvé, je t'ai idéalisé et je suis sûre d'une chose désormais, c'est que tout ça ne valait rien, que ça n'aurait mené nulle part. Ce sont toujours les mêmes qui se régalent et les mêmes qui souffrent.

En 2015 je suis encore debout. Tel le Phoenix qui renaît de ses cendres je renais de mon tas de merde. J'ai pris ma première résolution et non des moindres, je mets un terme.

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Article bâclé et absolument inutile. Je n'ai plus la tête à faire des proses pour sa gueule. Je suis seulement en quête de félicitations, un peu comme quand on dit qu'on n'est pas beau pour qu'on nous réponde que non vraiment, on est superbe. HAHAHA. Je vous encourage à m'encourager, d'accord? Je ne dois vraiment pas lui laisser le privilège de me revoir, alors encouragez-moi putain de vous.

D'avance, cimer.