samedi 26 décembre 2015

À lui

Mon amour avorté, mort dans l'œuf,

Je t'ai aimé maladroitement comme si ton attention m'était due, comme si j'avais assez donné pour que tu m'apportes encore plus. J'étais égoïste, je n'ai pas su te remercier et profiter de chaque instant passé à tes côtés. J'ai réalisé la chance que j'avais eu lorsque je me suis retrouvée seule face à moi-même, quand je n'ai enchaîné que des histoires stupides. Ma vie sent la défaite sentimentale car je n'ai jamais retrouvé quelqu'un comme toi et désormais je le sais: tu ne reviendras jamais. Les choses sont ainsi faites. Mes amies disent que de toute manière tu n'en valais pas la peine, que tu étais un infidèle, que j'aurais été malheureuse. Elles ont peut-être raison. Mais les photos de cette époque disent que j'étais épanouie et rien ne semblait pouvoir m'arrêter. Je t'aimais. De cet amour insensé il ne reste rien. Je suis vide et froide, un pied sur la terre ferme et l'autre sur l'écran du ciel.

Le 5 décembre dernier j'étais devant le Taj Mahal, merveilleuse histoire d'amour par-delà la mort. Je fêtais secrètement l'anniversaire de notre dernier rendez-vous. Je sais que tu n'y as pas pensé, tu étais sûrement en train de baiser des putes. Et à quoi pouvais-tu penser de toute manière, et à quoi bon y repenser d'abord, et est-ce vraiment tragique d'oublier? Et le contraste est si grand entre ma folie amoureuse et ton désintérêt total que je préfère nier l'évidence et me faire des films en couleurs, interpréter l'absence de matière, lui trouver un sens et le monter en tas de merde. 

À une époque on s'est aimés en même temps. Nous étions d'accord sur tout même sur le fait qu'on ne serait jamais d'accord sur rien. Dans notre asymétrie des sentiments il y a pourtant eu un moment où les bouts se sont rejoints, où on avait plus besoin de parler pour se dire qu'on s'aimait vraiment.

Je me souviens des caresses sur ton corps au petit matin. Je te trouvais encore plus beau le visage ensommeillé. Je me damnerais pour revivre cette scène. Et tu étais toujours un peu gêné de me trouver si candide au réveil. À dix-sept ans tu le sais, je n'avais déjà plus rien d'une cruche. Ma douceur devait faire brouillon, tâche au milieu de notre putasserie. Pourtant je sais que de moi tu aurais tout accepté. J'aimerais être ton enfant pour te réveiller comme on réveille les papas, en sachant qu'ils ne diront rien alors que Maman en aurait pris plein la gueule. 

Il paraît qu'on oublie avec le temps, que les blessures se referment, qu'on ne se souvient plus des détails, de la voix, de la gestuelle. J'ai une très bonne notion du temps mon amour - n'en déplaise à ma mémoire défaillante - et il commence à se faire long sans toi. Je n'ai pas beaucoup de convictions dans ma vie mais je sais une chose, c'est que les lieux ont une mémoire et les murs des oreilles. Alors je ne tends pas trop la mienne. 

Excepté quand je suis bourrée et que je crois pouvoir gérer le monstre.

Ce que j'ai pensé hier en fouillant le Facebook de ta mère comme si toutes les réponses à mes questions allaient apparaître en noir sur blanc. Finalement, le monstre a pris l'apparence d'une photo. Une photo de mariage. Du tien sûrement, si on considère qu'une mère a le droit de porter une voilette blanche pour marier son fils en lunettes de soleil rouges assorties au nœud papillon. Ta mère a toujours eu mauvais goût. Je la détestais de te voir l'aimer. Si on avait été ensemble je t'aurais posé l'ultimatum: tu arrêtes d'être son fils ou je te quitte. Ensuite j'aurais tapé du pied comme une enfant capricieuse et tu m'aurais larguée là avec mes névroses. De toute manière si tu l'aimais plus que moi, c'est seulement parce qu'elle t'avait donné le sein.

Dans mon déni j'ai pensé à un mariage gay. Après tout tu aimais être au-dessus pour que je m'occupe de ta jolie framboise. Aujourd'hui je me demande qui en prend soin. Une femme, un homme, mieux vaut ne pas savoir et j'ignore ce qui est le pire. Sûrement le fait que tu puisses aimer quelqu'un d'autre, de toute manière.

Si l'on en croit la photo, tu t'es marié en octobre. Pendant un moment, mes histoires de mort prématurée n'avaient plus vraiment de sens. J'ai cru que je pouvais m'en sortir sans toi, que rien n'était grave après tout. C'était sans compter que tu puisses faire ta vie, avoir une épouse et des enfants. Je suis revenue sur ma décision au moment même où j'ai vu la photo et depuis elle est irrévocable. Je pense que je crèverais un 16 octobre. C'est une date toute ronde qui sent bon l'automne et les marrons chauds. C'est beau un 16 octobre, ou un 24, pourquoi pas un 24? C'est mieux que de mourir un 13 novembre. J'ai de l'humour mais pas jusqu'à mourir le jour de notre rencontre - et accessoirement celui des attentats six ans plus tard, je vous ai dit que j'avais de l'humour?

J'aurai 24 ans le 2 janvier et tu en auras 32 le 22. Je suis tellement folle que j'ai toujours trouvé quelque chose de mystique dans nos dates de naissance. Au fond tu es sûrement mon double, la réplique de ma venue dans ce monde, le duplicata de ma pouffiasserie, la continuité de mon passage sur Terre. En fait, tu es la répétition foirée de mon existence puisque je vais pourrir et tu vas réussir. J'aimerais ne pas avoir eu le choix, que t'aimer soit obligatoire ou interdit.

Les années passent et je n'ai toujours pas l'âge que tu avais lorsque sur moi tu t'es penché. Nous sommes le 26 décembre mon amour.

Dans une dizaine de mois nous serons en octobre.


mardi 22 décembre 2015

Somnifères

La première fois que j'en ai pris j'ai photographié ma main environ cent fois. Parce qu'il me semblait que ce n'était pas la mienne, qu'elle s'était perdue ici un beau vendredi de dépression à 19h40 et qu'il me faudrait peut-être le lendemain l'aider à retrouver son chemin. Douze heures plus tard et la tête enfarinée je découvrais des photos de ma main dans mon téléphone et j'ai pensé que si je me l'étais fait voler entre temps, le mec aurait bien rigolé. (Le téléphone, pas la main).

J'ai passé le reste de la journée à somnoler debout dans mon magasin, la tête posée contre un sac exposé à la vente. Je ne me suis vraiment réveillée que le soir, lorsque c'était justement l'heure d'en reprendre. Cette deuxième fois, comme je suis une personne intelligente et pleine de bon sens, j'en ai gobé la moitié d'un avec trois verres de rosé et me suis allongée dans mon lit, attendant la perche avant le sommeil de plomb. Dans mes fantasmes, j'espérais mourir comme Marilyn Monroe, la reconnaissance et la beauté en moins. Restait au moins le désespoir.

Je dois préciser qu'en ce temps-là je ne dormais plus depuis une semaine, enchaînant des journées de travail (= de branle) et beaucoup de mal-être. Il m'était impossible de m'endormir et j'étais au bord de la folie, tournant en rond dans mon studio sur les coups de trois heures du matin, fumant des cigarettes mentholées et finissant par me mettre des gifles et des coups de poing dans le ventre. Parfois je pense que j'étais peut-être possédée, qu'un séjour à Sainte-Marie ou chez un exorciste m'aurait fait plus de bien qu'une boîte de Zolpidem.

Ce deuxième soir donc, la perche ne s'est pas faite attendre. Si bien que je me suis retrouvée à filmer mon volet par-lequel filtrait la lumière des lampadaires de ma rue. Lumière éblouissante qui semblait éclairer ma chambre. Dans la vidéo, on m'entend demander à un interlocuteur imaginaire "Mais comment est-ce possible? Qui est-ce?" On aurait dit une pauvre vidéo amateur à 1.000 vues sur YouTube, où un mec faussement apeuré filme un truc lumineux là-bas au loin, en essayant de vous faire croire qu'il s'agit d'un débarquement d'ovnis. À la différence que j'y croyais vraiment. 

Cette nuit-là, je l'ai passée à plat ventre, la tête posée sur le matelas au niveau du volet, et les fesses remontées allez savoir pour quelle raison. Un peu comme si je m'étais pris une très grosse cuite et que j'étais tombée en avant d'un coup sec. Je me suis réveillée quelques heures plus tard dans la même position, très étonnée, sans aucune courbature et l'anus vierge de toute présence extraterrestre. Lorsque j'ai retrouvé la vidéo, j'ai eu tellement honte que je l'ai effacée.

Le troisième soir, en me concentrant je pouvais voir mes vêtements danser sur leur cintre. J'imaginais que c'était une salsa et je riais seule dans mon déséquilibre mental, prononçant le nom d'un ancien amant. J'espérais que dans son sommeil tranquille au milieu de sa vie sans inquiétude dont je ne ferai jamais partie, il puisse ainsi rêver de ce que j'étais en train de voir.

La quatrième fois que j'ai été chercher l'échappatoire à cette vie, il faut croire que le corps a résisté. Ma tête demandait une défonce soft pour pouvoir me coucher tranquille mais lui, avec son esprit de contradiction d'adolescent attardé me l'a refusée. J'ai pu me promener une heure au moins sur le carrelage froid, écouter de la musique et fumer plusieurs cigarettes avant de légèrement disjoncter en voyant mon chat noir et blanc sans poils blancs. Je le caressais en me disant qu'après tout, la nature était changeante.

Aujourd'hui je peux dormir sans somnifères et si j'en prends de temps en temps je ne délire plus comme au commencement. Un jour peut-être je vous raconterais mon trip à la Datura (strictement déconseillée) quand j'aurai soigné à la camomille mes insomnies et mon cerveau démonté.