vendredi 5 juillet 2013

Mémé-Mamie

Je me souviens de la dernière fois que je l'ai vue. J'étais en train de jouer au Club des 5 sur mon PC Windows 2000. J'ai dit "Au revoir Mémé!" du haut des escaliers, sans vraiment y accorder trop d'importance puisqu'elle même n'était pas plus stressée que ça. Elle partait comme si on allait l'opérer d'une appendicite. C'était pourtant d'un triple pontage au cœur et elle en est ressortie les pieds devant, comme on dit.

Je savais qu'elle était tombée dans le coma et qu'on me faisait enregistrer des messages de merde tout préparés pour les lui faire écouter (famille de fous). Mais ce qu'était le coma je n'en savais rien, et pourquoi je devais parler dans un magnétophone je ne le comprenais qu'à moitié. Je me souviens de mes tantes qui restaient assises devant le téléphone, l'air inquiet, répétant "Pas de nouvelles, bonnes nouvelles" comme pour se rassurer; alors que j'allais bien et que maman et papa avaient l'air cool aussi. 

Puis il y eut ma première brocante, le 1er mai 2002. J'étais excitée de jouer à la vendeuse (si j'avais su que c'était ce que j'allais devenir), pressée de vendre des objets d'un autre temps qu'on avait retrouvés à la cave. Maman m'avait fait une table avec des planches en bois. Ce matin-là alors que c'était la plus grosse journée de travail de l'année, elle portait de grosses lunettes de soleil et justifiait ses larmes par une chute dans la rue et des genoux écorchés. Mon oncle était venu donner un coup de main, le visage grave, l'air ailleurs. Je ne me souviens pas d'avoir entendu mon père chanter et faire le con comme à son habitude devant les clients. Par contre je me rappelle clairement de mon médecin généraliste en rollers avec sa femme et sa fille. Je trouvais ça étrange qu'il fasse des messes basses à ma mère en me regardant d'un œil choqué. 

En début d'après midi on a plié bagage, j'étais très contente de cette matinée. Les adultes disaient que j'avais vraiment bien vendu. C'est là que ma mère est venue vers moi l'air grave, s'est accroupie pour être à ma hauteur et m'a appris que Mémé-Mamie était partie au paradis. Je me souviens avoir crié "Non!" et avoir regardé vers l'horizon avant de demander "Pourquoi on dit qu'il y a un dieu alors?". Je revois cette scène sans me souvenir clairement des mots que ma mère a pu employer pour cette terrible annonce. Je n'aurais pas aimé être à sa place. Néanmoins je me sentais trahie d'avoir été mise au courant après tout le monde. Et conne aussi d'avoir cru toutes ses conneries de "Mémé va s'en sortir" et de chute qui fait mal aux genoux. Ironie du sort, elle qui a bossé toute sa vie est morte le jour de la fête du travail. 

Je crois que c'est ce jour là que j'ai arrêté d'être naïve comme on l'est à dix ans. J'ai mûri d'un jour à l'autre. Sa mort a marqué le début de mes années de cauchemars, la fin d'une famille qui allait se disloquer à cause d'un héritage. Je me souviens ne pas avoir été à l'école pendant plusieurs jours, et qu'on l'enterrait le jour où j'y suis retournée. 

Depuis, tous les premiers Mai ont un goût amer. Je ne pleure plus mais n'offre pas de muguet. Je n'ai presque jamais été me recueillir sur sa tombe. Pas la force. Pourtant je me demande parfois ce qu'elle pense de tout ça, du chemin parcouru, en onze ans. Elle était d'une autre époque, de celles qui n'ont eu qu'un amant et qui ne comptaient pas leurs heures de boulot. Ça doit lui faire drôle de voir qu'il m'en a fallu quatorze avant de trouver le bon, et que je râle à l'idée de devoir travailler deux dimanches payés double cet été. 

Néanmoins je sais qu'elle me parle la nuit. Je me souviens rarement de ses paroles mais elle est là. Comme elle l'a été pendant dix ans. Dix ans sous son aile. Ce sont des plaies qu'on ne referme jamais. Mais puisque c'est elle qui m'a élevée je garde des marques indélébiles de sa personne. 

Je ne t'oublie pas sois-en sûre. J'ai retrouvé la foi depuis. Ça n'a pas été facile. Je sais que tu es là. Juste derrière la porte. Et si d'aventure je quittais Terre, accueille-moi avec la même intensité.

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