dimanche 22 décembre 2013

L'absence du père

J'ai eu un père absent. Contrairement à celui de mes connaissances, le mien n'est pas mort d'une crise cardiaque et n'a pas mis les voiles avec la maîtresse quand j'étais enfant. Depuis presque vingt-deux ans qu'on se connait lui et moi, il est là, debout sur ses deux pieds. Et parfois à quatre pattes quand il a trop bu. Mon père est un excessif, il ne sait rien faire à moitié. Ni exister, ni boire, ni provoquer. Je pense donc qu'il m'aime d'un amour véritable, malheureusement ce n'est pas son meilleur domaine. 

Quand j'étais petite, il me demandait de l'appeler par son surnom et non "Papa". Il le disait sur le ton de la plaisanterie mais si on prend le temps d'y réfléchir ça veut dire beaucoup. Mon père est un personnage, il n'a jamais montré qui il était à la face du monde. Il se cache derrière l'humour, le sarcasme, parfois la bêtise mais n'en reste pas moins quelqu'un d'extrêmement intelligent. De cette intelligence je ne sais que peu de choses, puisque nous n'avons aucune relation. J'ai deviné, appris, compris ou cherché à comprendre. La communication s'est définitivement coupée il y a longtemps déjà et mes souvenirs de quelques moments partagés sont très clairs.

Aujourd'hui il est encore un mystère et pourtant je lui ressemble tellement. J'ai essayé de tout faire différemment mais nos personnalités sont les mêmes. Ça me rattrape à chaque période dépressive, à chaque verre de vin, à chaque chanson de Thiéfaine et à chaque fois que j'ose dire à quelqu'un ce que je pense de son raisonnement à la con. Nous sommes un peu les mêmes sans nous connaître.

Il s'est détourné du bon chemin, parfois n'est plus que l'ombre de lui-même et aux yeux de tous un pauvre homme qui finira clochard. Les gens ont seulement connu le Mr Hyde et c'est dommage, j'aurais aimé qu'ils le voient comme on l'a connu nous, cultivé et érudit bien que piètre père.

Il restera ce grand regret dans ma vie, celui de ne pas avoir été proche de lui, de n'avoir pu lui confier mes soucis, ma peur de l'avenir. Il est trop perdu lui-même pour s'attarder sur les égarements des autres. Entre nous il y a des mots toujours tus, des marques d'affection avortées, des compliments qui se lisent à peine dans le regard, il y a un point d'interrogation, un doute qui subsiste et une question qui revient toujours mais qu'on n'énonce jamais "Est-ce que ça sera toujours comme ça, toi et moi?".

Tant que "ça sera comme ça" c'est que rien n'entravera notre quiétude un peu feinte. Alors je prie pour que chaque jour garde la même saveur, celle de l'inachevé.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire