jeudi 20 mars 2014

Je ne suis qu'un cri


Je m'étais levée tôt ce matin-là. Bien avant six heures je crois. J'ai avalé mon petit-déjeuner comme une boulimique. Mes cinq-cent calories quotidiennes sont sacrées. Je pourrais manger la margarine à la cuillère et des champignons farcis à la crème pâtissière. Mais comme j'aurais un peu honte j'en reste à la panna cotta allégée, aux pancakes et à la confiture. Cette dégustation barbare est à mon sens le meilleur moment de la journée. Pour le reste... Après moi le déluge.

La nuit avait été courte et fatigante. De celles pendant lesquelles on ne dort pas vraiment. On somnole, les yeux fermés et la tête en ébullition. Des centaines d'images défilent bien malgré nous, et des mots, de la rancœur, des chats qui vont et qui viennent, tentent de se faire une place au milieu du lit comme s'ils comprenaient la détresse tapie dans le noir. Derrière l'oreiller, ce soir-là le monstre s'appelait Regret.

Au réveil j'étais comme descendue d'un manège, avec l'estomac tout aussi retourné. Dans le miroir je ne ressemblais à rien. J'avais l'air asexué et c'était drôle de me plaire encore voire davantage.

Après manger je me suis recouchée une demi-heure aux côtés de celui qui depuis la veille au soir avait décidé de m'ignorer. Je pensais qu'il me fallait faire un sac avec quelques affaires. Mais pour combien de temps allais-je partir? Me fallait-il prendre des dessous et mon uniforme ou bien remplir une valise? Si seulement il n'y avait pas ce travail au milieu de mes journées, si seulement la crise avait eu lieu quelques semaines auparavant.

Quand le réveil a sonné j'ai pleuré de devoir me lever une seconde fois et de puiser la force que je n'ai pas. J'ai murmuré "je ne veux pas aller travailler" comme une enfant qui se rendrait malade un lundi matin. Il a relevé la tête et m'a prise dans ses bras. J'ignorais qu'il serait matinal et ne m'attendais pas à un geste tendre au milieu du malaise. À la place du "bonjour" il y a eu un "je ne vais pas te laissée tomber". Et l'espace d'un instant on se serait cru dans une nouvelle où l'héroïne finit par avaler sa boîte d'anxiolytiques. Il faut dire que je n'en suis pas très loin et qu'il me faudra un jour trouver la bonne chute à mon histoire personnelle. J'hésite encore entre le train et le vol plané mais c'est bien trop banal pour ma fin que j'imagine glorieuse. Au nom de quoi? Qu'allais-je faire de grand dans ma vie? Pas grand chose. Mais d'exister, c'est déjà beaucoup. On devrait me remettre un trophée chaque jour pour le simple fait de continuer ce combat contre le néant.

Je ne parle jamais de lui. À part pour le dénigrer. Maintenant qu'on a failli se perdre, j'ouvre les yeux et tente de me corriger. Je ne dois plus crier. Ça sera compliqué car je ne suis qu'un cri. Mais il me faut réussir à prendre sur moi, me nourrir un peu plus du vide et du silence qui m'entourent. Il a raison, je ne lui porte aucune attention. Il me sort par les yeux. Je le maltraite. Et pourtant sans lui, j'aurais été pute (mais riche!). Sans lui, je n'aurais jamais su, jamais connu, jamais compris. Je ne suis pas sûre d'avoir fait le meilleur choix mais c'est un cadeau de Dieu de l'avoir mis sur ma route. Il ne sait pas, ne comprend pas, soupçonne sans n'y connaître rien, mais il est là, vivant qui tient toujours la main du zombie, de cette moitié d'être qu'il a connu pleine de vie. Il est mon épaule la plus solide et au nom de notre Amour il me faudra de nouveau apprendre à parler, à mettre des mots là où je ne fais que rugir.

Je lâche prise. Il est l'heure. J'ai la quiétude retrouvée de ceux qui sont passés à côté d'un naufrage. Je l'épargnerai de la méprise et du sarcasme, en me remémorant toujours que ce matin-là, il a pris une décision pour nous et non pour lui.

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