mardi 22 décembre 2015

Somnifères

La première fois que j'en ai pris j'ai photographié ma main environ cent fois. Parce qu'il me semblait que ce n'était pas la mienne, qu'elle s'était perdue ici un beau vendredi de dépression à 19h40 et qu'il me faudrait peut-être le lendemain l'aider à retrouver son chemin. Douze heures plus tard et la tête enfarinée je découvrais des photos de ma main dans mon téléphone et j'ai pensé que si je me l'étais fait voler entre temps, le mec aurait bien rigolé. (Le téléphone, pas la main).

J'ai passé le reste de la journée à somnoler debout dans mon magasin, la tête posée contre un sac exposé à la vente. Je ne me suis vraiment réveillée que le soir, lorsque c'était justement l'heure d'en reprendre. Cette deuxième fois, comme je suis une personne intelligente et pleine de bon sens, j'en ai gobé la moitié d'un avec trois verres de rosé et me suis allongée dans mon lit, attendant la perche avant le sommeil de plomb. Dans mes fantasmes, j'espérais mourir comme Marilyn Monroe, la reconnaissance et la beauté en moins. Restait au moins le désespoir.

Je dois préciser qu'en ce temps-là je ne dormais plus depuis une semaine, enchaînant des journées de travail (= de branle) et beaucoup de mal-être. Il m'était impossible de m'endormir et j'étais au bord de la folie, tournant en rond dans mon studio sur les coups de trois heures du matin, fumant des cigarettes mentholées et finissant par me mettre des gifles et des coups de poing dans le ventre. Parfois je pense que j'étais peut-être possédée, qu'un séjour à Sainte-Marie ou chez un exorciste m'aurait fait plus de bien qu'une boîte de Zolpidem.

Ce deuxième soir donc, la perche ne s'est pas faite attendre. Si bien que je me suis retrouvée à filmer mon volet par-lequel filtrait la lumière des lampadaires de ma rue. Lumière éblouissante qui semblait éclairer ma chambre. Dans la vidéo, on m'entend demander à un interlocuteur imaginaire "Mais comment est-ce possible? Qui est-ce?" On aurait dit une pauvre vidéo amateur à 1.000 vues sur YouTube, où un mec faussement apeuré filme un truc lumineux là-bas au loin, en essayant de vous faire croire qu'il s'agit d'un débarquement d'ovnis. À la différence que j'y croyais vraiment. 

Cette nuit-là, je l'ai passée à plat ventre, la tête posée sur le matelas au niveau du volet, et les fesses remontées allez savoir pour quelle raison. Un peu comme si je m'étais pris une très grosse cuite et que j'étais tombée en avant d'un coup sec. Je me suis réveillée quelques heures plus tard dans la même position, très étonnée, sans aucune courbature et l'anus vierge de toute présence extraterrestre. Lorsque j'ai retrouvé la vidéo, j'ai eu tellement honte que je l'ai effacée.

Le troisième soir, en me concentrant je pouvais voir mes vêtements danser sur leur cintre. J'imaginais que c'était une salsa et je riais seule dans mon déséquilibre mental, prononçant le nom d'un ancien amant. J'espérais que dans son sommeil tranquille au milieu de sa vie sans inquiétude dont je ne ferai jamais partie, il puisse ainsi rêver de ce que j'étais en train de voir.

La quatrième fois que j'ai été chercher l'échappatoire à cette vie, il faut croire que le corps a résisté. Ma tête demandait une défonce soft pour pouvoir me coucher tranquille mais lui, avec son esprit de contradiction d'adolescent attardé me l'a refusée. J'ai pu me promener une heure au moins sur le carrelage froid, écouter de la musique et fumer plusieurs cigarettes avant de légèrement disjoncter en voyant mon chat noir et blanc sans poils blancs. Je le caressais en me disant qu'après tout, la nature était changeante.

Aujourd'hui je peux dormir sans somnifères et si j'en prends de temps en temps je ne délire plus comme au commencement. Un jour peut-être je vous raconterais mon trip à la Datura (strictement déconseillée) quand j'aurai soigné à la camomille mes insomnies et mon cerveau démonté.


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