vendredi 24 janvier 2014

Les mauvais profs


On oublie souvent de parler d'eux, ces tueurs de confiance en soi. Parce qu'actuellement le débat est centré sur ces profs qui peinent à devenir titulaires et sur ces classes de trente brutes qui fument déjà des pétards et font des tournantes en classe de CE2. On nous parle des enseignants qui se suicident et des parents démissionnaires. Je ne caricature même pas. À écouter TF1, il n'y a pas de cons chez les profs. Pas plus qu'il n'y en a chez les juifs. Oops, encore un article qui ne fera pas la Une.

Il y a quinze ans, ma génération sentait de loin la décadence mais il n'y avait pas encore tous ces problèmes. Seulement les prémisses. Pourtant, dans ma petite école privée et catholique, bien loin de l'ennemi musulman et tutti quanti, plongée dès le plus jeune âge dans une paranoïa à la con, j'avais un mauvais prof. De ceux qui brisent totalement votre confiance en vous. Et comme je ne suis qu'une pute je vais citer son nom: il s'appelait Mr R. (Bon allez je censure). C'était un trentenaire, grand et baraqué, qui avait un cheveu sur la langue, une mèche blonde so 90's et la fâcheuse tendance à se gratter les couilles. Mr R., Jean-Jacques comme on l'appelait en primaire, était prof de sport. Avec un prénom à la con comme celui-ci, j'aurais plutôt dit prof de dessin. 

Je ne suis pas débrouillarde et encore moins sportive. Je le reconnais, je me noie dans un verre d'eau et je ne sais pas faire grand-chose de mes dix doigts. Chez nous, on appelle ça quelqu'un d'ensuqué. Et il se trouve qu'à l'époque j'étais une belle ensuquée. Enfin belle... Tout est relatif. 

J'ai supporté Jean-Jacques un tas d'années, du CP jusqu'en 5ème. Et justement au CP, je faisais mon premier voyage à l'étranger avec mes parents et j'avais manqué quelques jours d'école. Quand je suis revenue tout le monde savait faire la roulade avant et arrière mais pas moi. J'avais pris du retard. Alors quand Jean-Jacques a essayé de me l'apprendre en quelques minutes, évidemment je n'ai pas réussi. Ce qu'il a dit ce jour-là, je m'en rappelle encore: "Ça part en vacances et après ça ne sait plus rien faire". J'avais six ans. Je n'avais pas les armes pour me défendre. J'ai fermé ma gueule et ravalé mes larmes. Entendre ça alors que mes parents travaillaient beaucoup trop et avaient voulu me faire plaisir, ça faisait mal. 

Le gymnase était devenu ma hantise. À chaque partie de ballon prisonnier j'étais choisie en dernier dans l'équipe. Je ne pense pas que les autres enfants pouvaient juger de ma médiocrité, mais le prof en revanche se permettait de le faire devant eux, en me lançant des pics et en me rabaissant ouvertement. Je n'étais ni la petite grosse ni la moche mal habillée mais j'ai l'impression d'avoir eu un statut équivalent pendant plusieurs années, à chaque cours de sport. 

En classe verte, il m'avait demandé si je savais faire du vélo. La question montrait bien qu'il me prenait pour une quiche. Je savais en faire oui, mais le VTT par contre, c'était trop dur pour moi. J'étais à la traine, celle qu'on attendait toujours parce qu'elle galérait. Je me souviens de Jean-Jacques et de son air ahuri devant tant de mollesse. Au lieu de m'encourager il me disait que j'étais un poids. À cette époque je n'avais pas dix ans. 

Alors pour la classe de neige l'année suivante, j'avais été mise dans le groupe des nuls avec des enfants plus jeunes que moi et un garçon autiste. Le moniteur nous avait qualifiés de morues. J'avais fini par me faire une contusion à la cheville pour ne plus avoir à skier.

Jean-Jacques était mauvais. Dans son regard, je pouvais lire en transparence ce qu'il pensait de moi: une enfant empotée et précieuse dont les parents ne s'étaient pas suffisamment occupée. 

Quand j'ai enfin changé de prof de sport puis carrément de collège, je n'en n'avais plus rien à battre. J'avais compris que tout ceci n'avait aucune importance. J'enfilais ma tenue et j'allais papoter avec mes copines. Je n'ai plus participé à aucun de ces exercices à la con et j'ai eu zéro la tête haute.

Hier, j'ai croisé Jean-Jacques dans la rue et les souvenirs ont refait surface. En me voyant il a pris quelques années dans la face et ses cheveux sont devenus poivre et sel. Alors au lieu de le saluer j'ai crié "Quel cauchemar!" et je sais qu'il a compris pourquoi, même dix ans plus tard. La prochaine fois, je serai moins gentille et je lui dirai que "sa mère la pute".

3 commentaires:

  1. Ce serait quand même incroyable, bizarre, impossible que dans notre confrérie d'environ 837 000 profs il n'y ait pas un bon paquet de connards... eh oui il y a des profs abrutis, sadiques, mauvais, mais heureusement il y en aussi plein, qui font leur maximum pour aider leurs élèves et se montrent bienveillants...

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  2. PS: Je suis prof des écoles ET juive. Verdict? Irrécupérable? :)

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    1. Loin de moi cette idée là. Il y a des cons partout.
      Et puis tu aurais pu être rousse et naine.

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