jeudi 13 février 2014

E.

Les lèvres d'E. avaient le goût des beaux jours. Son trou de balle aussi. Il sentait bon le parfum mais la passion surtout. Avec moi, E. était no limit. Sans forcer les choses il me suivait dans mes délires d'enfant un peu folle. J'avais dix-sept ans, il en avait vingt-cinq. Il priait pour que je ne raconte rien à mes parents. Quand j'y repense, j'aurais pu me faire un petit billet.

E. était chaud mais c'est un vendredi treize novembre que nous avions conclu. Je n'oublie jamais cet anniversaire. Il faisait froid et j'étais en pantalon, moi qui avais toujours le cul à l'air. Je ne savais pas ce soir-là qu'il allait marquer ma vie au fer rouge. Je serais tentée de vous dire que si j'avais su, j'aurais fait demi-tour dans les beaux escaliers en marbre. Mais c'est faux. Je me serais jetée dans ses bras encore plus vite. Ses bras, c'était un ticket gratuit pour l'enfer. Mais de cette souffrance je ne garde que de doux souvenirs. Les heures passées au téléphone, les centaines de messages, l'attente, l'excitation, la douche en mosaïque, les baisers puis la douleur, les larmes sur l'oreiller, le doute, le sentiment de trahison qui n'avait pas lieu d'être.

E. en avait une autre à Paris, elle était mon sosie. En plus belle je crois. Quand il ne donnait plus de nouvelles, c'est parce qu'il était avec elle. Mais elle, ce n'était qu'une parmi tant d'autres. Et j'ai souffert le martyre quand j'ai découvert le pot aux roses. Pourtant je m'en doutais bien, et je n'étais personne. Je venais d'ailleurs et n'allais nulle part. Avec moi, on ne pouvait rien envisager. J'étais une petite conne qui fréquentait des strip-teaseurs. J'étais déjà sarcastique et peu amicale. Je lui faisais croire que je le détestais alors que j'étais folle de lui. Je pensais toujours que si la prochaine fois ne fonctionnait pas, alors je ferais pute. Je ne le considérais même pas comme cette "prochaine fois", c'est seulement quand il est partit qu'il m'a tellement manqué.

Il y a quelques semaines, je l'ai aperçu sur son lieu de travail. Je suis passée devant l'air de rien, puis je suis revenue sur mes pas avant de repartir. La troisième fois, je me suis dit que c'était la bonne, mais à quelques mètres de lui je me suis arrêtée. Je n'ai pas trouvé le courage et suis restée là plantée comme une conne. J'étais immanquable avec ma veste rose, il ne m'a pourtant pas vue. Dans ma tête des milliers d'images se sont bousculées. Des souvenirs d'amour particulier. Lundi j'y retournerais peut-être, essayant d'enlacer à nouveau un morceau du passé. Trop peur de mourir sans l'avoir revu.

E. était une enflure mais il me respectait plus que quiconque. Avec lui, c'est comme si on s'était aimé. Il disait que je n'étais pas obligée. Il était d'une douceur incomparable et m'a pourtant poussée bien malgré lui vers le fond, la décadence. J'ai pété un plomb le jour où je l'ai perdu. Mais je n'ai pas les réactions d'une femme, alors j'y pense toujours et n'en parle jamais. Il est une blessure secrète, un acte manqué. Histoire de ne pas souffrir sans raison, j'aurais aimé qu'il soit le tout premier.

Lundi j'essaierai. Il faudra bien lui dire un jour combien je l'aime et l'ai aimé, il faudra bien briser la glace, faire le bilan des années. Qu'importe s'il ne m'aime plus ou ne m'a jamais aimée, les mots seront moins acides et j'en tremblerai encore.

2 commentaires:

  1. Quand c'est l'autre qui rompt en pleine histoire d'amour, on a toujours l'impression d'une chute en plein vol et il y a toujours un goût amer d'inachevé ...
    Mais attention à ne pas te brûler les ailes en voulant le revoir et te faire plus de mal que de bien ):

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    1. Il n'a pas rompu. A vrai dire notre histoire n'a jamais commencée. C'est pire encore.

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