vendredi 8 février 2013

Les soirées entre couples

Quand j'avais seize ans il fallait que je négocie pour sortir. Même le mercredi après-midi. Mes parents me faisaient chier à un point inimaginable. J'avais l'impression d'habiter chez un couple de vieux qui n'est plus dans l'air du temps depuis un bail. Pourtant ma mère m'a eu à 23 ans.

Les quelques soirées auxquelles j'ai réussi à participer avant mes dix-neuf ans - c'est à dire en tant qu'enfant célibataire et dépendante de ses vieux - consistaient à se mettre minable, enchaîner les shots de Tequila et finir par vomir par terre ou sur mes pieds. Le tout enfumé d'un bon paquet de clopes (je n'ai jamais trop aimé les joints). Je me levais le lendemain de bonne humeur et le teint frais, avec l'envie de remettre ça très vite.

Aujourd'hui quand je fais une soirée, si c'est entre copines (ça arrive trois fois par an), ça se passe autour d'un verre de vin dégueu ou d'un mojito fraise, à parler de l'opération des nichons. Je fume trois clopes (les premières du mois) et mon ventre se met soudainement à gonfler, à tirer. L'impression qu'un alien va sortir de mon cul, comme ça sans prévenir. J'ai mal, j'aimerais péter un coup pour faire sortir tout cet air mais je suis entourée et même pas sûre d'avoir envie de péter. J'écrase ma troisième clope dégoûtante à la moitié, je me sens lourde. Mon haleine et mon teint s'en souviennent encore le lendemain. Les soirées entre copines ça finit avec mon mec qui se cache quelque part pour espionner et vient me chercher énervé comme un père de famille. Inspection de ma tenue, cris et menaces. L'autre fois j'ai eu droit à "tu ne baiseras plus pendant une semaine".

L'alternative, c'est les soirées entre couples. Mon mec les aime bien parce qu'il n'y a pas les dangers de l'extérieur (des bites quoi). Les soirées entre couples, c'est un couple qui invite dans son appart de fou (c'est à dire pas nous), moi qui ramène des gâteaux, une autre qui apporte une bouteille. En général c'est frites nuggets maison ou coquillettes revisitées. Nous sommes des couples jeunes, je précise, pas de bœuf bourguignon ou de fondue savoyarde. Pas encore.

Bref. Un apéro (pamplemousse pour moi), une clope à la menthe, des chips. À table y'a deux bouteilles de vin. Et pendant que je gobe mes coquillettes revisitées les autres parlent du travail, du loyer et de leur conseiller bancaire. Je prends dix ans dans la gueule.

J'en ai pris au moins vingt ce soir quand un couple s'est ramené avec son bébé. Un bébé de deux mois. Gentil et laid. J'ai pas réussi à m'extasier dessus comme les autres. J'ai pas eu envie de le porter dans mes bras non plus. Encore moins de me projeter à trente ans dans la même situation, avec les gros cuissots, le gros cul et les vergetures au bide. Si en fait je me suis projetée. Je me suis imaginée difforme, fatiguée par les nuits blanches, et à moitié maquillée. J'ai imaginé la gueule de mon gosse, et celle de mon mec qui parlerait comme un adulte, de son conseiller bancaire et du loyer. J'ai imaginé qu'il regarderait d'autres culs (si c'est pas déjà fait), parce que le mien ressemblerait désormais à de la semoule. J'ai imaginé à quoi ressemblerait ma vie, et je me suis demandé à quoi ça servait de se ruiner autant le corps pour donner la vie. Et quelle vie. À quoi ressemblera le monde dans dix ans? Je n'aurais rien à lui apprendre. Les dernières valeurs auront probablement disparues. Je me suis dit que c'était con de faire des gosses, et que je suis trop individualiste pour aimer véritablement quelqu'un et me saigner pour ça: un bout d'humain qui chie à volonté avec une minuscule paire de couilles. Et puis l'idée d'avoir un garçon me terrifie. C'est de la merde les hommes. Je n'ai pas d'amitié pour eux. Ils sont fourbes. J'aurais même pas envie d'éduquer un garçon. Je préfère encore qu'il soit pd.

Malgré la merde dans laquelle venait de se mettre la mère, elle avait l'air épanouie. Tant mieux et heureusement. Elle a commencé à parler de l'accouchement, là j'ai pensé qu'on allait trop loin; le père a suivi, en précisant au passage qu'il ne pourrait pas faire gyneco, même avec des jeunes, pour voir des filles qui sont "pourries de l'intérieur". Je me suis souvenue des cellules pré-cancéreuses dont je ne vous parlerai pas, j'ai imaginé que pour ce con là j'étais un produit toxique à moi toute seule. Un fruit pourri. De l'extérieur ça va encore, mais dedans c'est bon à jeter à la poubelle. J'ai eu envie de crier "mais t'y comprends rien toi feeeerme ta gueuuule!", et puis j'ai pensé qu'on ne se connaissait pas, et que ça faisait trop coupable, et qu'on touchait un sujet sensible. Bref. Je me suis servi un verre de rosé. J'avais envie d'avoir seize ans et de me torcher la gueule à la Tequila.

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