jeudi 24 octobre 2013

Le désamour

Vingt-trois ans. Ils ne fêtent plus leurs anniversaires de mariage ou de vie commune. À quoi bon? Je sais que c'était en juillet, parce que c'est toujours ce mois-là que ma mère m'appelle et me dit  "Aujourd'hui ça fait X années. Et voilà ce qu'il a fait. Super l'anniversaire de mariage!" On finit par en rire mais ça fait peur. Je ne veux pas d'une vie de conne où j'aurais mal choisi.

Et pourtant il y a vingt-trois ans mon père était bien différent. "Rien à voir avec celui qu'il est aujourd'hui", répète souvent ma mère, "sinon je ne me serais pas mariée, je n'aurais pas fait un enfant avec lui". Ces phrases ressemblent aux "si j'avais su". Elles ont le même goût amer.

Quand je regarde leur album de mariage, je compte d'abord les disparus et réalise ensuite le pouvoir du temps. Il peut aussi bien bonifier que rendre ingrat. Il passe à une vitesse incroyable et quand on s'arrête un instant pour contempler ce qu'on laisse derrière nous, ça fait peur parce qu'il n'y a rien ou pas grand chose. Je me demande ce que je laisserais un jour, si je choisis mal mon mari et qu'on se retrouve comme deux vieux cons bedonnants. Je sais que d'être né sous une bonne étoile ne suffit pas, il faut aussi savoir prendre les bonnes décisions et ne pas rester passif.

Je crois que c'est ce qui a fait couler mon père. Rester là sans passion, travailler plus que de raisons, attendre sans savoir quoi. Il n'a jamais trouvé la vie très belle mais n'a jamais rien fait non plus pour en apprécier la beauté. Son histoire et la mienne se ressemblent, on a l'impression d'avoir été mis là par hasard et de devoir subir cette condition. On aurait voulu ne jamais "connaître ça".

Ça fait vingt-trois ans et ma mère ne l'aime plus. Mais malgré tout ce qu'il lui a fait vivre c'est lui le plus usé. Il est à la ramasse tandis qu'elle est rayonnante. Leur seule grande différence, c'est d'avoir vu la vie sous un autre angle. Lui est un grand pessimiste, un Schopenhauer des temps modernes. Elle est plus optimiste que quiconque, alors qu'il aurait du lui bouffer toute son énergie. 

Elle ne l'aime plus. Vingt-trois ans c'est beaucoup et l'évolution de chacun ne s'explique pas toujours. Je pense que les humains ne sont pas faits pour s'aimer toute une vie, et malgré ça je regarde d'un œil inquiet les familles recomposées. Je suis attachée à mes modèles alors qu'au fond ils n'en sont pas vraiment. 

Et si c'est ça la vie, taire nos colères parce qu'on a trop crié, supporter l'autre et espérer qu'il ne rentrera pas. Difficile de croire que parfois ça finit bien, quand je regarde mes exemples. Mais il n'y a pas de plus grand désamour que celui qu'on porte à soi-même. Alors qu'importe si on ne s'aimera plus dans vingt-trois ans ou demain, je t'en remettrai au vent.

4 commentaires:

  1. C'est trop triste... mais forcément toujours le cas, je pense (si, si ça m'arrive !!) .

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. A nous de faire en sorte de ne pas en arriver là mais je crois que...

      Supprimer
  2. Moi aussi je suis assez fataliste sur ce que ça peut donner 20 ans plus tard... Même en admettant que je trouve quelqu'un avec qui ça se passe bien maintenant on évolue tous indépendamment (dieu merci !) et puis un jour tu te retournes et tu te demande ce que tu fous là avec cette personne à côté de toi. Je me suis juste promis d'essayer de faire de mon mieux pour créer un pont... Je pense que c'est pas trop ambitieux et ça ne présume pas du résultat. Mais avouons un petit couple de vieux encore amoureux (car ça existe de temps en temps quand même) c'est quand même super touchant.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Les anciennes générations c'était différent... Ils réparaient avant de jeter. Mais maintenant...

      Supprimer