dimanche 31 août 2014

Comme d'habitude

Il y a eu un "Bisou je t'aime, à ce soir", c'était le 30 juin. De ces je t'aime qu'on prononce un peu par habitude, de ces phrases un peu formatées qui ont toujours un peu le même goût.

Ce matin-là je suis partie au travail comme d'habitude. Je suis passée par la gare pour éviter la chaleur. Écouteurs sur les oreilles j'ai emprunté le même chemin en écoutant les mêmes chansons. Comme d'habitude aussi j'ai croisé le même vieux monsieur avec le même vieux chien. Je lui ai souris, j'étais pâle, blafarde, j'avais perdu goût à la vie et comme d'habitude j'ai acheté ma salade du midi en comptant les calories.

C'était un lundi matin et la semaine commençait comme d'habitude. Ouvrir la porte, éteindre l'alarme, enfiler l'uniforme. Enfermée dans mes gestes routiniers quelqu'un avait décidé que c'était pourtant l'heure de casser les habitudes. 

Il y a eu un coup de fil. Ironie du sort j'étais assise par-terre en train de passer une commande sur Asos. Ma vie était encore calme et sans surprise. Je n'ai pas voulu répondre tout de suite. J'ai pensé que ça devait être le gardien qui avait reçu un colis. Et puis je me suis rappelée que je n'attendais pas de colis. J'ai décroché. Ça a changé ma vie.

"Bonjour. Tous les loyers reviennent impayés depuis huit mois. 6.500€ de dettes. Le dossier part en contentieux après plusieurs lettres et appels restés sans réponse."

Je l'ai appelé et parce que sa vie était sans doute un peu la même que d'habitude, il n'a pas répondu. Il a fallu que j'insiste quatre ou cinq fois avant qu'il décroche. J'ai gueulé. J'ai cru m'étrangler dans mes cris. Il a nié puis avoué. "Mais c'est la faute de mon travail qui me sous-paye. Je suis en relation avec les services sociaux depuis deux semaines, je m'occupe de tout. Demain matin ça sera réglé."

J'ai tremblé. Les bras me sont tombés. Dans quelle galère nous mets-tu? Pourquoi? Les services sociaux? Toi fils de milliardaires? Où sont passées mes parts du loyer alors? Pourquoi avoir continué de me taxer pendant que j'étais au chômage? Je ne gagnais que 900€ et toi tu tapotais ta montre "On est le 16 ma puce, n'oublie pas mon chèque !"...
J'aurais aimé être en face de lui pour qu'il me réponde. Je n'ai même pas eu l'occasion de poser toutes ces questions. Il a envoyé un dernier sms pour dire que comme d'habitude il n'avait plus trop de batterie, que je ne devais pas m'inquiéter et qu'il allait tout gérer.

Le soir, j'ai franchis le pas de la porte la boule au ventre. Il était en repos et me devait tant d'explications. Pourtant il n'était pas là. J'ai appelé, il a filtré mes appels. J'ai envoyé un seul et unique message, vers vingt-deux heures quand je me suis décidée à partir. Il était allé trop loin et n'avait apparemment pas le courage de m'affronter. C'était le 30 juin et la saison allait commencer demain, je devais être en forme et ne pas l'attendre jusqu'au petit matin car je l'aurais frappé c'est certain.

En fait, nous ne nous sommes plus jamais revus. Il ne m'a pas cherchée ce soir-là. Lorsque j'ai tout raconté à sa mère la situation a certainement explosé et quand onze jours plus tard je suis passée chez nous pour voir mes chats et récupérer des culottes, mes affaires étaient faites. Il me dégageait. Salement. Et de loin. Pas de réponse à mes appels et puis soudain des cris et des pleurs, parce qu'il me demandait un break par sms et moi une rupture. J'ai fait la forte et l'ai écouté chialer comme une grosse merde sans flancher. Mais que pouvais-je faire d'autre? Ramasser mes affaires et ma dignité sur le palier puis l'attendre bien sagement chez Maman? Un doigt dans ton cul. Huit minutes de "conversation" qui n'ont servies à rien. Même devant l'évidence de sa propre bêtise il continuait de fuir et de n'être pas clair.

J'ai beaucoup pleuré. Mon humeur changeait tous les jours vers dix-sept heures et je sortais chaque soir de la gare en pleurs. De loin j'entendais des histoires de cocaïne, une vie nocturne pleine de drogue que je n'ai pas su ou simplement pas voulu voir. J'aurais préféré qu'il m'accorde une dizaine de minutes dans une ruelle sombre et qu'il me largue là avec ses problèmes à gérer, plutôt qu'il n'agisse ainsi. J'ai été salie. Le mois de juillet a été un calvaire. Je n'ai jamais pensé qu'une relation de trois ans sous le même toit pouvait finir ainsi.

Il y a eu la recherche d'appartement, il y a eu ces déménagements pendant lesquels on m'a tenue par la main pour que je tienne encore debout. Seule je sais que je serais tombée. Les habitudes n'étaient plus les mêmes et je ne voulais pas l'accepter. J'ai pensé jusqu'au dernier instant qu'il allait se réveiller, annuler tout ça, prendre son courage à deux mains et sauver ce qui pouvait encore être sauvé. Bien sûr il n'en fut rien. Il ne s'est pas battu, il estimait sans doute que je n'en valais pas la peine. 

Qu'importe. Puisqu'un jour j'ai décidé de voir la vie autrement. C'était le 30 juillet. Mon existence a repris tout son sens. Je me suis levée et j'ai remercié Dieu pour ce que j'avais: une famille et des amis en or, une santé en béton, un travail stable. J'ai souris dans le miroir et ai décidé qu'il en serait toujours ainsi, qu'il me fallait accepter la situation et la tourner à mon avantage. J'avais eu de la chance qu'on me débarrasse de ce parasite, la chance que la situation explose maintenant et non dans dix ans avec un mariage et des enfants. J'avais été sauvée. Le présent comme le futur m'appartenaient, je ne dépendais plus de personne. S'il avait été capable d'agir ainsi avec moi, alors je n'avais rien perdu. Il n'était pas un homme et je méritais sûrement mieux. 

Aujourd'hui, ça fait deux mois que la situation a explosé. Deux mois que je me suis retrouvée seule, sans m'y attendre. Pourtant... Me voilà dans un 40m2 avec mes chats, plus heureuse que jamais, libérée d'un poids. La vie m'appartient, je suis libre et s'il y a quelques contraintes, je sais que je me débrouillerai toujours mieux seule plutôt qu'avec ce genre de personne. Cette histoire n'a plus d'intérêt et n'a jamais eu de sens. Ce sont des problèmes qui ne me concernent pas et pour lesquels je n'aurais rien pu faire. J'ai réussi la plus grosse partie du deuil sans les explications et les excuses que j'attendais. Les habitudes ne sont désormais plus les mêmes et les jours ne se ressemblent pas. Mais Dieu que c'est bon! Je me suis installée le 5 août. C'était le premier jour du reste de ma vie. Une vie que je désire folle et un peu dangereuse, pas comme d'habitude.